La Noyade d’Andrea

P R I S S / T O P
7 min readJun 7, 2021

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Artwork by Gabriele thank you for allowing me to write on your work.

Emmène-moi

Andrea resta coi devant la petite note adhésive de couleur fraise bleue collée contre un pan de mur de sa chambre. Il s’était réveillé un peu embrouillé par ses terreurs nocturnes. Même s’il ne se souvenait pas de son contenu, il avait gardé, à contrecœur, le sentiment d’angoisse au réveil.

Il ne comprenait pas d’où venait ce mot, ou qui avait pu l’écrire. Non seulement il ne se rappelait pas l’avoir écrit, ni l’avoir collé, il était pratiquement sûr que ce n’était pas non plus son écriture. La couleur rouge du crayon utilisé alarmait Andrea.

En se levant, la chaleur de sa couverture tomba au sol, le laissant nu dans le froid. Il posa une main contre le mur blanc qui contrastait avec cette note.

Qui était ce moi?

Où aurait-il dû l’emmener?

Perdait-il la tête? Andrea se demanda, en dodelinant de la tête très légèrement, comme s’il arriverait à voir cette note sous un autre angle.

Le mot restait éternellement le même:

Emmène-moi

Andrea plissa les yeux avant de se résigner.

Avant de se jeter corps et âme sous la pression réconfortante de sa douche, Andrea trouva une autre note, même papier couleur fraise bleue au crayon rouge, collé au miroir de la salle de bain. Il hésita a décoller le mot pour se regarder mais il était si intrigué qu’il n’y toucha pas, comme si le mot était fait de feu.

Emmène-moi loin

Pourquoi fuir? se demandait Andrea. Il aimait sa vie comme elle était, tout était si calme, si confortable. Il n’avait pas envie de fuir, et n’avait pas envie de jouer les héros. L’inconnu lui faisait peur de toute manière, il était envahi par des crises inexplicables dès qu’il se retrouvait dans un endroit qu’il ne connaissait pas et des situations peu familières.

Gia lui avait déjà reproché cela de nombreuses fois, qu’il n’était qu’un couard qui préférait se terrer dans son immense demeure car tout était plus facile parmi ces quatre murs.

Ca l’était.

Alors pourquoi ? Pourquoi fuir ? Qui voudrait fuir ce confort inouï ?

Peut-être Gia. Mais Gia avait déjà fui Andrea depuis bien longtemps. Les gens passaient leur temps à fuir les choses qu’ils n’étaient pas prêts à affronter. Andrea, lui, était uniquement peu apte à la vie sociale, voire pas du tout. Non, non et non.

Quand Andrea sortit de la douche, la note était tombée dans l’évier et lorsqu’il actionna le robinet, l’eau se mit à doucement dissoudre le papier fraise bleue. Andrea aimait particulièrement cette nuance, cela représentait tout pour lui, la tranquillité de son cœur, la beauté de l’océan ou l’absurdité des fleurs.

Mais son cœur n’avait rien de tranquille, ses entrailles tiraillées par un sentiment qu’il n’avait jamais connu auparavant. Son histoire avec Gia avait été fait de citrons et de miel, mais son histoire avec Alex n’avait rien de tout ça, ni de calme, ni de citron, ni de miel. S’il devait qualifier Alex, ce ne serait pas le bleu de l’océan mais le bleu d’une flamme qui s’embrasait et brûlait à chaque seconde, marquant si profondément sa peau jusqu’à consumer une partie de son cœur et au plus profond de lui-même.

Ils s’étaient rencontrés pas hasard dans une rue noire et vide au milieu de Rome. Ils s’étaient arrêtés en entendant des italiens hurler et crier après un vendeur d’ananas. Andrea n’avait rien écouté, il s’était plutôt épris des yeux d’Alex brillant à la lueur des lumières de la rue.

Andrea détestait ce sentiment d’amour et trouvait les coups de foudre aussi absurdes qu’imbéciles. Il pensait qu’il s’agissait d’une passion cruelle qui ne faisait que le retenir. Il n’avait pas réellement d’objectif dans la vie mais perdre la tête à cause de quelqu’un est une chose qui le terrifiait terriblement. Il adorait Gia pour sa stabilité, elle lui donnait cette tranquillité du cœur qu’il aimait tant mais Gia… Gia ne voulait plus de lui. Elle voulait son entièreté, chose qu’il n’avait jamais pu lui donner.

avec alex, pourtant, andrea sentait son cœur flancher à chaque seconde passée à ses côtés. et pour la première fois, andrea avait oublié la stabilité qui le maintenait ancré à la solide terre sous ses pieds. il savait qu’il allait redevenir poussière, et le savoir plus proche de la terre le rassurait.

alors ce mot était probablement un avertissement, ou un rappel qu’andrea devait prendre ses jambes à son cou si alex réapparaissait au pas de sa porte et celle de sa chambre. Le doux et redoutable souvenir de ses membres et ses pensées vibrer dès lors alex entrelaçait ses doigts avec les siens. soudainement, andrea se sentait honteux, comme s’il venait de commettre un effroyable crime passible de la pire des punitions.

sa punition s’était matérialisée en cette unique personne prénommée alex.

Pour Andrea, Alex était sûrement né un jour de neige, car il semblait froid au premier abord puis après quelques verres de whiskey, il se réchauffait comme la neige sous le soleil. Ses mots coulaient l’un après l’autre, ses yeux s’humidifiaient, ses sourires étaient moins durs et plus sucrés, le bout de ses doigts commençaient à brûler sa peau, comme l’eau chaude dans laquelle Andrea aimait nager et s’engouffrer durant les nuits humides d’été et les matins froids d’hiver.

En descendant prendre son petit-déjeuner, il trouva une nouvelle note sur le frigo. Sous la colère et l’incompréhension, Andrea arracha le papier, l’écrasa sous ses doigts et dans l’intérieur de son poing avant de le jeter à terre comme s’il s’agissait de l’affront le plus grave de sa vie.

Un café, un jus d’orange, du lait d’avoine, des céréales, des oeufs. Et un verre d’eau.

Il s’assit tranquillement, son ravitaillement en place devant lui mais ses yeux ne pouvaient soudainement pas se détacher du verre d’eau qu’il avait posé sur le côté. Sans son eau à lui, il était misérable.

Il mangea en silence, sauf pour l’occasionnel bruit métallique des couverts contre l’assiette ou les rebords du bol, des verres résonnant contre le marbre de l’îlot et… des rugissements.

Lorsqu’il se retourna lentement, tentant de canaliser cet effrayant son, les rugissements se tarirent.

Devenait-il fou? sans son eau ou sa stabilité, il n’était que l’ombre de lui-même, une ombre qui rasait les murs et son corps qui se pressait contre le carrelage froid.

Ce fut au moment où il commença à allumer son ordinateur, prêt à commencer à travailler qu’il entendit des cris monstrueux. Paniqué, il se leva de son tabouret d’un coup sec et se dirigea vers le bruit qui ne faisait que s’amplifier.

Ses pas le menèrent jusqu’à la porte du sous-sol.

Justement, une autre note était collée contre la porte.

S’il te plaît… Emmène-moi loin d’ici.

Andrea ne savait pas quoi trouver ni à quoi s’attendre, il était épouvanté et l’idée d’appeler la police avant même de descendre lui traversa l’esprit mais peut-être que ce n’était qu’un animal sauvage bloqué au sous-sol ? Ce serait ridicule d’appeler la police pour si peu.

Les cris étaient accompagnés de bruits sourds comme si quelqu’un tapait contre les murs. Quelqu’un serait-il bloqué ? Sans réfléchir, Andrea dévala les escaliers le menant au sombre sous-sol, oubliant sa peur et les dangers qui l’attendaient.

Effaré par l’odeur nauséabonde, il regretta son coup d’adrénaline pendant un court instant. Il tâta le mur à la recherche de l’interrupteur, et la lumière jeta des éclaircies sur des traces vermillon sur les murs, le sol et les plafonds. Il comprenait graduellement que l’odeur venait sûrement de la moisissure ou de la pourriture et que les tâches adornant le sous-sol étaient du sang. Andrea s’étonna de ne pas avoir senti cette odeur plus tôt tellement elle attaquait ses narines.

Le corps d’Andrea se mit à trembler, ses poumons se gonfler et son estomac remonter dans sa gorge, il se mit à dégurgiter son repas à la vue du corps presque sans vie en face de lui.

Alex.

Les mains enchaînées au plafond, les veines complètement ouvertes et quasiment vidées de leur essence. Andrea n’en croyait pas ses yeux, il ne comprenait ce que faisait Alex à moitié mort, les yeux mi-clos. Il devait à peine être conscient.

Toujours sous le choc, Andrea réussit à s’extirper de sa léthargie et se rua sur Alex pour le libérer de ses chaînes lorsqu’il entendit la porte du sous-sol s’ouvrir.

— Je ne t’ai pas autorisé à descendre, Andrea.

La voix veloutée de Gia qui l’avait apaisé de nombreuses fois s’était changée en une voix emprunte d’immanité.

— Gia… Qu’as-tu fait? Pourquoi?

Alors qu’Alex reprenait peu à peu ses esprits, Gia descendit lentement les escaliers, le genou toujours un peu affaibli par le mauvais temps. Elle sourit calmement, stoïque face à l’incompréhension d’Andrea.

— J’ai fait au mieux pour nous!

Andrea avait du mal à agréer, il jeta un œil vers Alex qui lui marmonnait de partir.

Était-ce Alex qui avait écrit ces mots? Lui qui appelait désespérément à l’aide?

— Je ne comprends pas ce que tu lui trouves, Gia grommela lorsque Andrea tenta de calmer Alex, bien affaibli par les afflictions de Gia. Je pensais te faire sortir d’ici, je pensais qu’on vivrait une aventure incroyable. Mais tu as préféré te terrer dans ta tour dorée avec Alex.

Alors Gia s’était prise à son propre jeu, elle décida d’enfermer Alex et Andrea pour toujours. Andrea n’aurait même plus à sortir du confort de sa maison, Gia s’était mise à confiner Andrea sans son paradis idyllique, avec Alex, quelqu’un Andrea était tombé follement amoureux, avant de le lui arracher tout de la plus horrible des manières. Mais des fois, Gia se sentait coupable d’avoir été aussi cruelle, alors avant d’aller se coucher, elle laissait des notes dans la maison, pour demander à Andrea de l’emmener loin d’ici, de les emmener loin de cet endroit toxique qui les asphyxiait et les rendait complètement fous.

Et le matin, Gia oubliait qu’elle avait été Gia la veille, elle se réveillait comme étant Andrea.

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